Par Jean-Paul BERNE, économiste des entreprises et des organisations, ancien responsable du Contrôle de Gestion du groupe RENAULT TRUCKS, ancien juge aux Tribunaux de Commerce de CAEN et de LYON
PRÉALABLEMENT : la crise économique générée par la très probable pandémie liée au CORONAVIRUS, va projeter nos PME et nos TPE dans des difficultés qu’il conviendrait de maîtriser au plus vite, d’où les réflexions ci-dessous offertes aux clients actuels et futurs clients du cabinet SDE ….
LES DÉFAILLANCES POTENTIELLES
Le nombre de défaillances d’entreprises de type PME et TPE reste élevé en France pour dépasser régulièrement année après année le nombre de 50.000 (1 : voir les chiffres de la COFACE de janvier 2019) : 80% des entreprises concernées réalisent moins de 250.000 € de Chiffre d’Affaires annuel.
Rien ne nous permet d’affirmer que nous avons atteint le maximum.
Bien au contraire, on ne peut pas exclure que le niveau de 80.000 voire de 100.000 entreprises défaillantes soit un jour dépassé dans les prochaines années.
Cet aspect nous préoccupe particulièrement car nous savons que la titrisation (2) des dispositifs de crédit a conduit les banques, à paradoxalement, relâcher leurs efforts de surveillance des emprunteurs. Des travaux empiriques récents montrent que les taux de défaut des entreprises sur les crédits titrisés ont été plus élevés que sur les crédits classiques. Cela aurait tendance à montrer que les banques ont été moins vigilantes, dès lors qu’elles savaient qu’elles seraient amenées à se défaire des crédits titrisés qu’elles accordaient. Cela a augmenté les risques dans les flux financiers des entreprises rendant, de fait, extrêmement délicat le processus de sauvegarde des entreprises non soumises aux règles d’une comptabilité prévisionnelle obligatoire (3).
1/ PRÉVENTION ET TRAITEMENT NON JUDICIAIRE DES DÉFAILLANCES DES ENTREPRISES
Cette situation nouvelle nous permet de constater que les risques financiers des entreprises augmentent d’une manière mécanique sans que les banques puissent inter agir efficacement. Par ailleurs ces mêmes banques, qui sont devenues beaucoup plus exigeantes en matière de crédits (classiques) , contraignent indirectement les dirigeants des petites entreprises en dessous des seuils (3) à trouver des solutions de financement plus « individualisées » qui peuvent faire courir des risques supplémentaires de défaillances à leur entreprise.
Par ailleurs, les défaillances sont aussi la conséquence d’une saisine beaucoup trop tardive des juridictions compétentes car les dirigeants hésitent à signaler la cessation de paiement de leur entreprise. Ainsi, lorsque les créanciers lancent leurs assignations, la cessation de paiement est déjà avérée et il convient alors d’engager une procédure en Chambre de Procédure Collectives (CPC).
Avant cela pourtant, bien des actions sont possibles.
Dans un premier temps, il faut déculpabiliser les dirigeants car les politiques macros économiques qui conduisent leurs entreprises à ne pas pouvoir accompagner les variations économiques de leurs marchés, les conduisent à sous-estimer l’ampleur de leurs difficultés. Il faut alors les inciter à examiner la situation le plus froidement possible et avec beaucoup de pragmatisme…
Il est nécessaire de leur proposer la mise en place de politiques financières et comptables particulières. Celles-ci intégreront les différents facteurs qui se trouvent être à l’origine de leurs difficultés et, par la suite de les retourner à leur avantage pour mieux exploiter les forces du marché en mouvement (redéfinition des produits et des zones de chalandises, mise en relation avec des courtiers en crédit TPE et PME comme le réalise les experts du CABINET SDE par exemple).
Dans un second temps, il conviendra de prendre des décisions qui trouvent leur source principalement dans le ralentissement de l’activité de l’entreprise (redéfinition de la taille du « costume » comme l’on dit !) et ensuite procéder à la recherche de nouveaux équilibres économiques et financiers. Des comités de restructuration ou un chef de projet issue de l’audit doivent être mis en place au sein même des entreprises, voire un véritable service de contrôle de gestion. C’est une des prestations avérée fondamentale du cabinet SDE.
Nous comprenons déjà bien, à ce stade, qu’il faut du temps. Celui-ci ne se mesure pas en semaines mais plus en mois, voire en années….
Le facteur temps est donc essentiel en matière de défaillance des entreprises et les actions évoquées ci-dessus s’anticipent et se valident bien avant le constat de la cessation des paiements.
– 11 / la prévention par l’information économique
Même si elle ne concerne pas directement les PME et TPE , la loi NRE ( 4 ) du 10 mai 2001 a renforcé le système d’une prévention par l’information économique en imposant aux grandes entreprises, qui dépassent certains seuils (3) , de tenir des documents prévisionnels permettant d’anticiper sur les difficultés à venir. En imposant la circulation de ces documents, le texte organise une véritable information économique que les textes suivants n’ont fait que confirmer.
Cependant, on observe avec regret que ce dispositif ne concerne pas les « petites » entreprises (TPE et PME) alors que ce sont elles qui représentent pourtant l’essentiel des entreprises défaillantes (80 %) .
Dans l’esprit et au-delà de tous les textes législatifs en place, il convient de s’appuyer sur l’antériorité de l’exploitation donnée par les comptabilités analytiques et générales pour traduire l’exploitation dans une perspective à trois ou à cinq ans. Ce sont les objectifs que se fixe le cabinet SDE pour l’ensemble de ses clients entrepreneurs.
Ainsi une information fondée sur les comptabilités traditionnelles, tournée vers le passé, est tout à fait insuffisante.
Il faut donc des comptes de nature à anticiper les difficultés futures en isolant des centres de profits par exemple, en revisitant les durées d’amortissements des investissements ou en classifiant les types de crédits adoptés.
Sans rentrer dans les détails ici même, il sera exigé une situation :
1/ pour le passé : de l’ « actif disponible par rapport au passif exigible » ainsi que d’un tableau des flux des « emplois et des ressources » guidant le dirigeant sur ses capacités de développement dans un niveau de ratio d’autonomie financière identifié ;
2/ pour le futur : d’un « résultat prévisionnel » et d’un « plan de financement prévisionnel » lui donnant la réalité des projections financières après avoir intégré ses projets de développement ;
Pour les entreprises échappant à ces seuils, rien ne leur interdit de tenir une telle comptabilité prévisionnelle et, de toute manière, c’est prioritairement cette action qui doit être menée dans le cadre d’une suspicion de défaillance.
– 12 / la prévention par l’alerte des dirigeants et le mandat ad hoc
Comme le monde économique des entreprises le sait, l’acte un de la prévention repose sur la loi du 1er mars 1984 qui a introduit la notion de « droit d’alerte » par le commissaire aux comptes auprès du tribunal de Commerce qui se charge ensuite de demander des explications au dirigeant. Pour bien comprendre le processus complet, nous développerons ici même celui qui s’applique aux SA, sachant que pour les autres types de société les mêmes principes demeurent, mais avec quelques aménagements.
L’objectif est bien sûr d’ouvrir une discussion au sein même de l’entreprise pour tenter de mettre un terme rapide aux difficultés observées.
Pour que ce dispositif soit efficace, il doit déjà être engagé au sein même de l’entreprise. C’est là principalement que le commissaire aux comptes, va agir en direction du dirigeant. Si cette action reste sans résultat, celui-ci doit enclencher la 2ème phase par un courrier en LRAR délivrant la saisine du conseil d’administration ou de surveillance puis éventuellement celle de l’assemblée générale voire des salariés. Au terme de ce processus et compte tenu du fait qu’il ne peut prescrire une solution de redressement (cela lui est interdit car il ne peut s’immiscer dans la gestion de l’entreprise) il a l’obligation d’en informer le Président de Tribunal de Commerce.
Rajoutons que les Comités d’entreprises disposent d’un droit d’alerte mais défini dans le code du travail (art L 432-5) ainsi que les associés des SARL, SA voire SAS (art L 223-36 et L 225-232) du Code du commerce.
Le MANDAT AD HOC :
Tout dirigeant d’entreprise dispose du droit de saisir le président du tribunal de Commerce dans le but de se voir affecter un MANDATAIRE AD HOC. Celui-ci sera bien entendu spécialisé dans le traitement des difficultés des entreprises et sera d’excellent conseil pour suggérer à ce dirigeant de prendre les bonnes décisions.
Le Président du TC définit lui-même le cadre de l’intervention du mandataire ad hoc dans une ordonnance au demandeur qui n’est pas transmise au ministère public. La durée est librement fixée.
La mission principale du mandataire ad hoc est alors de chercher avec le dirigeant des solutions de restructuration et aussi d’obtenir des principaux créanciers des aménagements conséquents.
La CONCILIATION :
La conciliation transforme le traitement de la défaillance en acte contractuel entre le créancier (le dirigeant) et ces créanciers. Il fixe le niveau en numéraire des créances et aménage le règlement de la dette naissante.
Cet accord amiable relève du droit privé.
– 13 / le traitement administratif des difficultés des entreprises
On retrouve dans ce domaine le « vieux » débat entre le dirigisme économique des Etats et les intérêts des grandes institutions (type OMC ou Union Européenne) qui veut que :
– pour les uns, c’est la protection du patrimoine économique et la sécurité du fonctionnement du marché qui l’emporte avec, en prime, un traitement social qui « offre » une certaine paix sociale et,
– Pour les autres, la disparition radicale des entreprises inefficaces est une caractéristique d’un marché libre et ouvert, sachant qu’au surplus le soutien aux entreprises en difficulté entraine des distorsions dans le jeu de la concurrence.
Au-delà de ce débat général et idéologique, l’administration française intervient au niveau national avec le CIRI ( 5 ) Comité Interministériel de Restructuration Industrielle) et au niveau régional avec les CODEFI (Comités Départementaux d’Examen des problèmes de Financement des Entreprises)
Le CIRI :
Il est compétent dans le domaine de la difficulté des entreprises de plus de 400 salariés et se charge des actions de médiation d’une part et de coordination de l’action de l’Etat et de son administration d’autre part. La méthode de travail utilisée est la même que pour les autres acteurs en matière de défaillances (mandats ad hoc, médiations, cessions partielles ou totales, redressement, etc…). ce comité traite de plus en plus d’entreprises avec une quantité de salariés qui dépasse désormais les 100.000 par an.
Les CODEFI :
Ils sont installés au sein de la trésorerie générale du Département et sont présidés par le préfet. Toutes les administrations locales y participent (Urssaf, pôle emploi, Banque de France, etc…). Elles constituent l’instance administrative locale à caractère interministériel investie d’une mission générale de traitement des défaillances des entreprises (accueil, détection et traitement).
L’assistance apportée à l’entreprise défaillante peut être « active » (soutiens d’audit, attribution de fonds propres a des taux bonifiés) ou « passive » (délais de paiement, remises de dettes publiques ou allègements fiscaux).
Une attention particulière sera portée à l’encouragement de reprise d’une entreprise en difficulté à l’aide de tout une batterie d’aides comme l’exonération d’IS ou la réduction des coûts de mutation.
Les collectivités locales sont elles aussi sollicités pour des actions en direction des entreprises défaillantes sous forme d’aides contractualisées
2/ TRAITEMENT JUDICIAIRE DES ENTREPRISES DEFAILLANTES
Ce dispositif est très connu désormais car il constitue la base du fonctionnement actuel des tribunaux de Commerce :
– les procédures de sauvegarde
– la période d’observation et les protections qu’elle génère
– les évaluations du patrimoine de l’entreprise
– le redressement et la liquidation judiciaire, les sanctions
3/ LES AUTRES DOMAINES DES TRIBUNAUX DE COMMERCE
Sans un développement spécifique ils concernent
– le contentieux général, y compris les intermédiations
– la tenue des registres et autres obligations administratives
4/ CRISE DU SECTEUR BANCAIRE ET RISQUES COMPLEMENTAIRES
– 41 / Crise du secteur bancaire et risques complémentaires pour les entreprises
Certes, la titrisation ( 2 ) a été utile aux banques parce qu’elle leur a permis de contourner la réglementation des fonds propres : elles ont transféré les crédits à des structures (des conduits, des « Spécial Investment Véhicules » ) qui souvent leur étaient liées, mais sans que cela les oblige à la constitution de capitaux propres.
La titrisation leur a aussi permis de dissimuler les risques, en rendant très difficile leur évaluation. Ces risques ont ainsi été dispersés entre des investisseurs qui ont accepté de les porter parce qu’ils en ont sous-estimé l’importance. De sorte que la réduction du coût des financements qui en a résulté, provenait simplement de cette sous-estimation et de la sous tarification qu’elle impliquait.
Les Accords de Bâle qui constituent les fondements de cette réglementation se sont principalement intéressés au risque de crédit ; tandis que le risque de marché n’a jamais fait l’objet d’un traitement convaincant, sans doute, parce qu’il est bien plus compliqué à mesurer et à contraindre.
Par ailleurs, les marchés ont en principe vocation à s’autoréguler, du moins tant que leurs dysfonctionnements ne viennent pas polluer les activités bancaires de base. Or, c’est bien à ce niveau que la régulation a été prise en défaut. Car s’il est vrai que le départ des crises est la distribution de crédits hors normes, nous avons vu que la titrisation avait une grande part de responsabilité. Puis les défaillances des marchés ont largement décuplé les pertes initiales….
– 42 / Propositions pour consolider le dispositif de contrôle
La première solution mise en avant au moment du déclenchement des crises est l’amélioration de la transparence des comptes et des pratiques des institutions bancaires.
Pour dépasser les mesures trop partielles des risques, on a proposé l’utilisation de « stress tests » qui sont censés mieux prendre en compte les risques de système. Il s’agit d’imaginer et de simuler les scénarios prenant en considération les différentes dimensions d’une crise, de façon à générer des valeurs extrêmes que la référence à des données historiques ne permet pas d’obtenir
Une crise peut manifestement été amplifiée par le caractère pro cyclique des normes comptables et de la réglementation des fonds propres. Les unes comme l’autre amènent les banques à distribuer moins de crédit lorsqu’elles ont enregistré des pertes ou simplement en période de basse conjoncture. Dans cette mécanique perverse la comptabilité en « juste valeur » joue un rôle délétère puisqu’elle transmet les fluctuations de marché à l’intermédiation de bilan (à l’offre de crédit), alors que celle-ci relève d’une logique toute différente.
Il est possible que nous assistions à l’introduction d’une nouvelle réglementation de la liquidité bancaire ou d’un durcissement lorsque il en existe une . Parce qu’en définitive la crise ne parviendra pas d’un problème d’insolvabilité, mais plutôt de l’assèchement des marchés monétaires dû à une défiance généralisée (elle-même due à une incertitude sur la localisation des risques). La position de liquidité des banques peut s’effondrer parce qu’elles s’étaient rendues trop dépendantes des marchés….
C’est l’imbrication croissante entre banques et marchés qui constitue l’évolution majeure du système financier au cours de ces 20 dernières années. Alors que l’on distinguait jusque-là ce que l’on appelait la finance directe (c’est-à-dire la rencontre d’une offre et d’une demande de capitaux sur un marché) de la finance indirecte (c’est-à-dire l’ajustement de l’offre à la demande par l’intermédiaire d’une institution financière), la transformation de L’activité bancaire a conduit à brouiller ce clivage, au point de le discréditer. Les banques ont développé des produits et des services d’investissement sur les marchés pour le compte de leurs clients et pour leur propre compte ;
De même qu’elles ont organisé l’accès des entreprises et de certaines administrations aux financements de marché. De sorte que l’on a pu dire qu’elles étaient devenues des « intermédiaires de marché », alors que leur fonction consistait jusque-là à faire de « l’intermédiation de bilan » (la transformation de dépôts ou de ressources liquides en crédits).
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QUELQUES DEFINITIONS ;
(1) COFACE janvier 2019 Par Bruno De Moura Fernandes, Économiste
plus de 60.000 défaillances par an entre 2010 à 2017
52.700 défaillances en 2018
Sensiblement le même chiffre que 2018 en 2019
(2) titrisation : définition
(3) Seuils pour une comptabilité prévisionnelle : 300 salariés ou 18 millions de CA, les deux critères sont alternatifs et non cumulatifs. Cependant, cette astreinte à la Comptabilité prévisionnelle cesse lorsque l’entreprise ne remplit aucune condition durant deux exercices successifs.
(4) loi NRE ;
Le « reporting » extra-financier est aujourd’hui devenu une mesure commune. La France a été cependant le premier pays à l’avoir inscrit dans la loi n°2001-420, en 2001. La loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques), et plus particulièrement son article 116, imposait à 700 grandes entreprises françaises cotées de faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport annuel de gestion. Il s’agit en d’autres termes d’inciter les entreprises à développer une stratégie de responsabilité sociétale (RSE) et, par extension, de limiter les externalités négatives qui découlent de la mondialisation des échanges. Elle régule ainsi trois domaines : l’activité financière, la concurrence, et l’entreprise. Pour autant, elle n’a pas substantiellement modifié le fonctionnement des entreprises.
( 5 )
Le CIRI est compétent pour aider les entreprises de plus de 400 salariés qui en font la demande, mais les TPE et TPE de moins de 400 salariés qui en font la demande relèvent des Comité Départementaux d’Examen des problèmes de Financement des Entreprises : les CODEFI. Ces CODEFI sont les équivalents du CIRI mais placé sous l’autorité du Préfet. Toutes les actions menées visent , au côté du dirigeant , à définir et à négocier un plan de transformation de son financement avec les différentes parties prenantes : actionnaires, créanciers , etc.
Merci aux professeurs Christian ROUX, Alain TESTON et Corinne SAINT-ALARY-HOUIN.